Série 02 – La danse serpentine
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La danse serpentine
Le cinéma est un véhicule de nostalgie. Plus qu’aucun autre art, il suggère la présence de ce qu’il représente ; ses effets de réel sont d’une puissance incomparable ; mais en même temps ses personnages, ses espaces, ses événements, ombres et lumières sur un écran, sont toujours des signes d’une absence. Ses images sont celles d’une vie morte. Tout film est une vanité.
Que sont devenus les gens qui figurent dans les films des frères Lumière, dans ce qu’on appelle le cinéma des origines ? Tous décédés depuis longtemps, ils apparaissent à l’écran comme des revenants, des fantômes. Danse serpentine : ce film de 1899 explose de vie. De folles couleurs, appliquées au pochoir par les ouvrières des usines Lumière, renforcent cette impression. Pourtant, image après image, cette exubérance rencontre ses ennemies : les traces du temps, les rayures de la pellicule, les taches, les brûlures. Leur combat est magnifique, tragique : memento mori, de nouveau.
Comment dire cela par la photographie ? Comment restituer quelque chose de l’énergie érotique de la danseuse – et de la corruption de cette énergie par le temps ? Peut-être, et c’est le pari que j’ai tenté, en figeant les images dans des constructions picturales, cadrées avec un certain formalisme. Le corps et ses vêtements deviennent, selon le regard que l’on voudra adopter, soit des fleurs ressurgies du passé, soit des origines du monde avec leurs plis et replis, des havres fendus d’Aphrodite. Des natures mortes pleines de vie ou des natures vives pleines de mort.
L’effet de flou, lui aussi, est une marque de l’âge. Il renforce l’aspect pictural des compositions, donne aux photos un aspect aquarellé. Pourquoi ne pas y voir la traduction esthétique d’une hypnose, l’effet d’un charme ? La danse est serpentine, ne l’oublions pas.