Série 01 – L’effet cauchemar
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L’effet cauchemar
La question est : pourquoi produire des images de cauchemars par un acte photographique ? Autrement dit, quel sens donner à cet acte qui, en l’occurrence, est à la fois capture d’un coin de monde (on est dans un musée d’histoire naturelle face à des animaux empaillés) et mise en scène (un personnage féminin, toujours le même, prend des poses devant le décor) ?
De la femme, on notera que son corps existe comme chair et peau bien présentes, matière sensible presque naturelle, mais qu’il est en même temps exsangue. Effet du flash, elle semble blanchie et vampirisée par ses visions. La femme s’expose ; elle aussi est en exposition. Comme les animaux derrière elle, figures-clichés du cauchemar. Images cueillies dans un musée : le contenu du rêve était là avant qu’on y mette une personne prête à jouer le jeu, c’est-à-dire, si l’on suit l’étymologie, prête à faire comme si elle se laissait caucher (fouler aux pieds) par un mare (un fantôme). Pour cela, elle doit se théâtraliser, mimer le sommeil, figée, les yeux clos, forçant ses poses du côté de l’étirement ou de la crispation intérieure. Institués en matières de rêves, investis d’un rôle de fantômes, les animaux empaillés gagnent en présence – par la charge d’effroi ou d’étrangeté qu’ils diffusent – en proportion même de leur absence de vie.
Ce projet photographique peut se lire comme un hommage à Johann Heinrich Füssli ou à une lignée d’artistes qui, de Giulio Romano au Douanier Rousseau en passant par Goya et donc Füssli, ont associé en un même tableau le rêveur et son cauchemar, exhibant ainsi un spectacle de l’intime. Mais il peut aussi être compris comme une méditation sur le pouvoir singulier de ces sous-êtres que sont les images et sur l’alliance multiple qu’elles établissent ici avec d’autres sous-êtres. En effet, on peut parler d’infériorité ontologique à propos :
– du rêve face à la réalité ;
– de l’artifice face à la nature ;
– de l’empaillé face au vivant ;
– de la pose face au mouvement ;
– du clair-obscur face à la palette des couleurs ;
– du musée face à l’extérieur ;
– de la bête face à l’humain ;
– et bien sûr de la photo face aux choses et à leur épaisseur.
Et pourtant… Représenter le cauchemar en photographie, c’est avoir l’intention – qu’elle parvienne ou non à ses fins ici, c’est une autre affaire -, de produire quelque chose de plus intense, de plus efficace en émotions, de plus nerveux que le réel lui-même. Eternel paradoxe de l’image : elle est le moins qui fait effet de plus. Sa faiblesse ontologique lui permet d’aller où le réel ne va pas. D’où la haine qu’elle a si souvent inspirée aux philosophes, pour qui elle détournait l’homme du réel, et aux théologiens, qui y ont vu une rivale de Dieu comme accès à l’outremonde.